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La Justesse

Etude du système occidental et
application pédagogique





Introduction


Ayant poursuivi des études universitaires scientifiques, je me suis parallèlement intéressé aux métiers du son, et à l'acoustique en général. Ces connaissances m'ont permis de mener par moi-même une recherche approfondie dans ce domaine. Je me suis particulièrement intéressé aux tempéraments, nés à partir de la renaissance, et par conséquent à la justesse. Ce mémoire ne traitera pas l'étude de ces tempéraments (Kirnberger, Werckmeister, Valotti, mésotoniques…), il s'attachera plutôt à la justesse et sa mise en application pédagogique.

Dans notre vie de musicien, "jouer juste" est un travail permanent. Bien loin d'être approximative, la précision des hauteurs relève d'une certaine conscience des phénomènes dissonant et consonant de la part de celui qui joue. Il me semble important de développer cette conscience chez les musiciens en herbe, d'où cette question d'ordre pédagogique: de quelle manière aborder la justesse avec des élèves musiciens?

Dans un premier temps, une étude physique du phénomène acoustique sera nécessaire pour, dans un second temps, réfléchir sur les solutions à apporter face à la complexité du problème. Enfin, nous proposerons une stratégie pédagogique pour tenter de pallier aux éventuelles difficultés que les élèves pourraient rencontrer.





Le phénomène physique :


Son et particules

Le son est une sensation auditive causée par les perturbations d’un milieu matériel (eau, métal, béton, air…). Il ne se propage pas dans le vide : sur la Lune règne un silence absolu. D’autre part, on peut déterminer la hauteur (grave ou aigu) d’un son s’il dure suffisamment longtemps, et surtout s’il a pour origine une vibration régulière : par exemple, les oscillations d’un diapason, la vibration d’une anche de clarinette ou d’une corde…
En effet, lorsqu’un objet est en vibration, il crée une onde qui se propage dans le milieu. Prenons l’exemple de l’air: ce sont les particules d’air qui transmettent cette onde jusqu’à nos oreilles, qui détectent alors la nature (lente ou rapide, légère ou intense…) de la vibration.
Dans l'illustration ci-après, les particules d'air, schématisées par les ronds de couleur, communiquent la vibration de la membrane du haut-parleur (distance 0) jusqu'à l'auditeur : au temps t0, il ne se passe rien et les particules sont au repos, la membrane commence son mouvement au temps t1, et pousse la particule blanche qui va percuter la suivante, écrue, qui elle-même va percuter la jaune, et ainsi de suite. La vibration sera transmise de cette manière aux oreilles de l'auditeur.
On pourrait comparer ce phénomène à une rangée de dominos qui tombent les uns sur les autres, ou encore, plus justement, à des vagues se propageant autour d'un caillou tombé dans l'eau.

Quand nous parlons, pour simplifier, de particules d'air, il s'agit en fait de masses d'air très petites, contenant elles-mêmes des millions de molécules qui se déplacent sur de très faibles distances (inférieures au millimètre). Celles-ci connaissent trois états: repos (en gris sur le dessin), pression (en noir), et dépression (en blanc). Dans l'exemple du caillou tombé dans l'eau, la zone de pression correspondrait au haut de la vague et la zone de dépression au creux de la vague.

Le mouvement alternatif de l'objet vibrant est plus souvent représenté par une courbe graphique sur laquelle on peut lire très simplement à quelle vitesse le milieu de propagation passe d'un état à l'autre. Ainsi, plus la vibration est rapide, et plus le changement d'état (pression/dépression) sera fréquent. C'est pourquoi l'on parle de la fréquence du son. La période est le temps que met l'objet vibrant à effectuer un cycle entier. Elle est souvent de l'ordre de quelques millisecondes.



Fréquence et hauteur de son

Le nombre d’oscillations (ou de périodes) par seconde détermine la fréquence, exprimée en hertz. Une mouche, par exemple, effectue en moyenne 300 battements d’ailes par seconde, la fréquence de ce mouvement est donc égale à 300 Hz et le son produit sera proche du ré 3 (cf. annexe B). Le moustique, que l'on reconnaît au son plus aigu, vole avec 600 à 1000 battements par seconde, ce qui donne un son entre le ré 4 et le do 5. On devine aisément qu'un plus gros insecte, tel que la libellule, bat moins vite des ailes: sa fréquence est aux alentours de 30 battements par seconde, c'est-à-dire un do 0.
La fréquence d'un son définit sa hauteur, c'est-à-dire qu'il est d'autant plus aigu que sa fréquence est élevée, et vice versa. Pour s'en rendre compte, il suffit de faire tourner une corde à bout de bras, et de constater le changement de hauteur du son, en fonction de la vitesse.

L'illustration suivante nous montre la représentation graphique d'un la 3, à 440 Hz, et d'un la 4, à 880 Hz. Le plus grave, à 440 Hz, est donné par la première courbe, sur laquelle on peut vérifier que l'oscillation effectue une période complète en un peu plus de 2 millisecondes (plus précisément 2,27ms), ce qui fait une seconde au bout de 440 périodes. Le la 4, quant à lui, à une période deux fois plus courte, puisqu'il faut en compter 880 dans une seule seconde.



Fréquences proches et battements

Lorsque l'on superpose deux sons parfaitement identiques, on en entend un seul, mais deux fois plus fort, ce qui est logique, puisque les deux objets vibrants vont créer des zones de pression et de dépression aux même moments: l'amplitude sera donc deux fois plus grande. On dit alors que ces deux oscillations sont en phase.
Le processus inverse est plus délicat à obtenir physiquement, mais on peut y arriver électroniquement. Il s'agit de produire deux sons parfaitement opposés, c'est-à-dire qu'ils semblent identiques mais quand l'un crée une certaine pression dans l'air, l'autre crée une dépression équivalente qui annule celle-ci. L'air reste finalement à l'état de repos, et le résultat est un parfait silence. On appelle cela une opposition de phase.

Imaginons à présent deux diapasons: l'un à 440 Hz, l'autre à 480 Hz. Le deuxième est donc un peu plus court et sonnera presque un ton plus haut. Si l'on fait vibrer nos deux diapasons, nous nous trouvons alternativement dans l'un et l'autre des deux cas précédents. Comme on peut le constater sur l'illustration suivante, si l'on additionne les deux sons, on en obtient un nouveau qui semble avoir une fréquence de 460 Hz (la moyenne), et dont l'amplitude, donc le volume sonore, augmente et diminue respectivement quand les deux diapasons se trouvent en phase ou en opposition de phase.

Le résultat de cette somme va créer un effet de battements, donnant l'impression que l'on augmente puis diminue le volume alternativement. La vitesse de ces battements dépendra de la différence de hauteur des deux notes: plus les fréquences sont proches, plus la vibration est lente. La dissonance ne disparaîtra que si les fréquences sont strictement égales: il y aura alors consonance.
Choisissons deux sons tellement voisins que l'on distingue à peine le plus aigu du plus grave; lorsque l'on écoute ces derniers simultanément, on a l'impression de n'entendre qu'une seule note dont l'intensité varie (cf. CD annexe, plage 1). Si nos deux fréquences s'éloignent lentement l'une de l'autre, on entendra de plus en plus deux sons distincts, au fur et à mesure que l'écart se rapproche du demi-ton (cf. CD, plage 2). Le battement sera, lui, de plus en plus rapide. Au-delà de cette limite du demi-ton, il devient très difficile à suivre; et quand on arrive à un ton de différence, on ne perçoit plus qu'un frottement (cf. CD, plage 3).

Une expérience intéressante consiste à modifier l'amplitude d'un son, sur le modèle de l'addition de deux fréquences différentes. Si l'on reprend l'exemple précédent, en appliquant les battements de la somme de 440 et 480 Hz, à la fréquence supérieure (c'est-à-dire 480 Hz), le résultat sonore est frappant: on a l'illusion d'entendre deux sons alors qu'il n'y en a qu'un seul (cf. CD, plage 4). Nous avons suivi le même procédé pour les duos 440/460 Hz (cf. CD, plage 5) et 438/442 Hz (cf. CD, plage 6).

C'est donc bien en écoutant ces battements que l'on peut contrôler, de manière précise, la dissonance ou la consonance de deux sons.



L'octave, la quinte et la quarte

On peut distinguer deux sortes d'intervalles: consonants et dissonants. Il existe toute fois différents degrés de consonance, de même que les couleurs ne se résument pas aux trois couleurs primaires.
On considère généralement comme consonants deux sons dont les fréquences sont en rapport rationnel simple. C'est ainsi que l'octave, avec un rapport de 2 (2/1), est, après l'unisson, le plus consonant. En effet, si le la 3 est à 440 Hz, le la 4 est bien à 880 Hz. Et si le rapport n'est pas tout à fait respecté, on entendra des battements lors de la superposition des deux notes.
On pourra vérifier le même résultat avec la quinte, qui a un rapport de 1,5 (3/2). En effet, le mi 4, une quinte au-dessus du la 3, a une fréquence égale à , c'est-à-dire 660 Hertz. Après l'octave, cet intervalle est le plus harmonieux de tous, et depuis toujours, entre autres dans la musique occidentale, il a été considéré comme l'intervalle consonant par excellence, contrairement à la tierce, par exemple, qui fut utilisée bien après.
Le rapport de la quarte est facile à calculer puisqu'il s'agit de l'intervalle complémentaire de la quinte pour former une octave. Si, de la note de départ, à la quinte, nous sommes à 3/2 de sa fréquence, pour arriver à 2 (l'octave), il faut encore multiplier par 4/3: le rapport de la quarte. En effet: .
Ce rapport fait encore partie des plus simples, et nous entendrons très facilement les battements lors de l'ajustement d'une quarte.



Cycle des quintes

C'est ce phénomène de battements qu'utilisent, par exemple, les accordeurs de pianos: ils peuvent ainsi facilement régler le la 3 en l'écoutant simultanément avec le son du diapason, tout en cherchant à faire disparaître les vibrations.
Une fois cette première étape effectuée, il reste toutes les autres notes du clavier à régler… Nous ne rentrerons pas dans le détail complexe de l'accord d'un piano, mais il est important pour la suite d'en connaître le principe:
Une fois le la 3 accordé, tous les autres la peuvent l'être à leur tour grâce au rapport d'octave. On trouvera ensuite, à partir de ce la 3 (440 Hz), le mi 4, une quinte au-dessus (660 Hz), puis le mi 3 (330 Hz). On aurait très bien pu ajuster directement le mi 3 en utilisant le rapport de quarte: . Pour le si 3, la quinte supérieure au mi 3: Hz.
De cette manière, en suivant le cycle des quintes décrit dans l'illustration suivante, on accordera toutes les notes du clavier, jusqu'à retomber sur le la d'origine.

Malheureusement, la procédure n'est pas si simple: si l'on vérifie le la 3, une fois le cycle effectué, on ne tombe pas sur la même fréquence que celui d'origine. Comme on peut le constater sur la liste de calcul ci-après, elle serait de 446 Hz. La différence est considérable.

Il convient à présent d'introduire certaines notions utiles afin d'expliquer les solutions pour remédier à notre problème:
On appelle cent l'intervalle musical qui correspond à un centième de demi-ton. Le rapport de fréquence du cent est la racine 1200-ième de 2, soit . Si l'on multiplie 1200 exemplaires de ce nombre décimal (c'est-à-dire si on l'élève à la puissance 1200), on obtient 2: le rapport de fréquence de l'octave. Si on l'élève à la puissance 100, on trouve le rapport de fréquence du demi-ton tempéré, soit . C'est-à-dire qu'en multipliant la fréquence du la à 440 Hz par , on arrive à 466,16: la fréquence du sib tempéré. Et en procédant douze fois de cette manière, on aura parcouru l'octave (jusqu'au la 4 à 880 Hz), avec douze demi-tons strictement égaux.
Le cent est un intervalle quasiment imperceptible: il s'agit par exemple de l'écart entre 440 Hz et 440,25 Hz. Le plus petit intervalle que l'oreille peut percevoir, dans les meilleures conditions, correspond approximativement à quatre cents. Pour calculer l'intervalle Ic, dans cette unité anglo-saxonne, entre notre la 3 de départ (440 Hz) et celui d'arrivée (446 Hz), il suffit d'appliquer cette petite formule:


Cette valeur correspond à l'intervalle appelé comma pythagoricien.

Pour corriger cet écart important, l'accordeur de piano doit diminuer chaque quinte ou augmenter chaque quarte, ce qui revient au même processus, d'un peu moins de deux cents (plus précisément: 23,5/12 = 1,96 cents, soit un douzième de comma pythagoricien). Cet ajustement est réalisé en comptant le nombre de battements par seconde.
Nous constatons donc que le cycle des quintes ne se referme pas sur lui-même, de sorte qu'il serait plus juste de parler de "spirale des quintes", se poursuivant à l'infini. Ce point d'une grande importance est à l'origine du développement des tempéraments à partir de la Renaissance.



Spectre harmonique

La différence d'intervalle entre une quinte pure et une quinte baissée d'un douzième de comma pythagoricien est de l'ordre de l'inaudible, et il en est de même pour la quarte. Il existe cependant, dans le système occidental, d'autres intervalles consonants, pour lesquels la justesse est beaucoup plus délicate.
Nous avons vu de manière détaillée la raison pour laquelle nous entendons des battements quand un unisson n'est pas tout à fait juste. Mais pourquoi constate-t-on un phénomène similaire pour les autres intervalles?

Il faut tout d'abord savoir que les sons, généralement, ne se réduisent pas à la fréquence qui donne leur hauteur, que l'on appelle fondamentale. Un son est en fait composé, en plus de la fondamentale, de ses fréquences multiples. C'est-à-dire qu'un son ayant une fréquence fondamentale de 100 Hz fera percevoir des fréquences de 200 Hz, 300 Hz, 400 Hz, 500 Hz…
L'ordre d'importance de ces harmoniques définira le timbre du son. Une clarinette n'aura pas le même spectre harmonique qu'un trombone par exemple.
Ajoutons que les harmoniques les plus audibles sont les plus proches de la fondamentale, et que toutes ces fréquences correspondent à des hauteurs, donc à des notes, dont l'intervalle se resserre de plus en plus en s'éloignant:
Voici les notes correspondant aux douze premiers multiples de la fréquence du do 1, le premier étant, bien entendu, la fondamentale elle-même (65,41 Hz).

Lors de l'audition simultanée de deux sons, riches en harmoniques, et de hauteurs différentes, on perçoit des battements quand deux harmoniques proches ne sont pas accordées. Ainsi, pour avoir une sensation de consonance, il faut que les notes communes, à l'intérieur des deux spectres harmoniques, soient ajustées correctement. Et la consonance sera d'autant plus forte que les notes communes seront proches des fondamentales.

On comprend ainsi pourquoi le rapport de la quinte est de 3/2: le troisième multiple (ou partiel) de la fréquence du do 1 est identique au second de la fréquence du sol 1 (cf. illustration suivante, colonne de quinte).

On a de cette manière le rapport de l'octave (2/1), de la quinte (3/2), de la quarte (4/3), et de la tierce majeure (5/4).

Nous nous trouvons alors confrontés à un nouveau problème: le rapport de la tierce majeure pure ne coïncide absolument pas avec la tierce majeure tempérée. En effet:

Tierce majeure tempérée: = 554,37 Hz
Tierce majeure pure: = 550 Hz

La différence n'est pas négligeable, puisqu'elle est de 13,7 cents.

C'est aussi pour cette raison que se sont développés, au début du 17ème siècle, une multitude de tempéraments, dont l'intérêt était de privilégier la justesse de certains accords. C'était malheureusement au détriment d'autres accords qui devenaient inévitablement très dissonants. (cf. CD, plage 7 et plage 8)



Les autres intervalles

En cherchant, sur le spectre harmonique du do 1, les rapports de fréquences des autres intervalles, on trouve plusieurs solutions, malheureusement incompatibles: la tierce mineure trouverait par exemple sa justesse à 6/5, mais aussi à 7/6. Effectivement, si l'on accorde un mib et un do en éliminant les battements dus aux harmoniques de sol, les harmoniques de sib dissoneront, et vice versa (cf. illustration suivante). Si l'on choisit le rapport 6/5, il faudra alors monter notre tierce de 15,6 cents, et si l'on choisit 7/6, il faudra la baisser de 33 cents. On préfèrera donc une tierce mineure un peu haute à une tierce trop basse de presque un quart de ton (On rappelle que le demi-ton tempéré est égal à 100 cents). De plus, l'harmonique commune du rapport 6/5 est plus proche de la fondamentale.

Nous sommes cependant dans l'obligation de faire des compromis, c'est pour cela, on le remarquera, qu'une tierce mineure est beaucoup plus délicate à ajuster qu'une tierce majeure (que l'on appelle aussi tierce pure). Car contrairement à cette dernière, on ne peut pas ôter tous les battements d'une tierce mineure.
Pour les intervalles les moins consonants, comme la seconde mineure ou la quarte augmentée, il est souvent judicieux de s'en remettre au tempérament égal.
Voici un tableau répertoriant les douze intervalles du système occidental, avec des rapports idéaux de fréquences. Ils sont classés du plus consonant au plus dissonant. Il va de soit qu'accorder un piano en respectant ces valeurs, par rapport au do, n'aurait aucun sens, dès la moindre modulation dans un texte musical.
Les différents tempéraments que l'on connaît de l'époque baroque étaient choisis en fonction du morceau et de ses modulations, et ils obligeaient l'exécutant à faire de nombreux compromis.

Intervalle Rapport de fréquence idéal Différence pur/égal
Octave juste
2/1
0
Quinte juste
3/2
+1,9 cents
Quarte juste
4/3
-1,9 cents
Tierce majeure
5/4
-13,7 cents
Tierce mineure
6/5
+15,7 cents
Sixte majeure
5/3
-15,6 cents
Sixte mineure
8/5
+13,7 cents
Seconde majeure
9/8
+3,8 cents
Septième mineure
9/5
+17,6 cents
Septième majeure
dissonant
Quarte augmentée
dissonant
Seconde mineure
dissonant






Comment jouer juste?


Compromis entre intonation naturelle et tempérée

Les chanteurs ont un grand avantage par rapport aux instrumentistes: ils ont une grande liberté d'intonation. Mais cette flexibilité peut être dangereuse, car si la justesse harmonique d'un chœur est souvent exemplaire, il n'en est pas autant de la stabilité de leur diapason, à condition, bien sûr, que les choristes chantent a capella. Il en résulte donc une hausse ou, plus fréquemment, une baisse progressive de la hauteur.
Reprenons le procédé de James Murray Barbour, qui consiste, dans un texte musical polyphonique, à conserver l'intonation des notes communes de chaque accord consécutif, tout en ajustant les intervalles afin qu'ils soient parfaitement naturels. Si l'on applique ce principe à l'hymne national du Royaume-Uni, en répétant en boucle les deux premières mesures, on obtient une véritable dérive du diapason. (cf. CD annexe, plage 9)


La feuille de calcul ci-dessus représente les fréquences de chaque note de l'extrait. Ces valeurs ont été calculées en utilisant les rapports naturels expliqués en première partie, en prenant comme note de référence le sol à 196 Hz (en rouge). Si l'on multiplie celui-ci par 5/4, on obtient le si à 245 Hz, et par 3/2, on obtient le à 294 Hz. En continuant ainsi jusqu'au sixième accord et en prenant garde de bien conserver les hauteurs des notes communes, on aboutit alors sur un sol à 194 Hz à la première reprise, puis 191, 189, 186, et enfin 184 Hz pour l'accord final . Une note d'une telle fréquence ressemble plus à un fa# qu'à un sol.

Pour conserver la justesse des accords tout en gardant un diapason stable, une solution consiste à ne pas modifier la hauteur des degrés principaux. Le ténor, en calquant son la du quatrième accord sur le la chanté par le soprano au troisième accord, force par là même les autres voix à s'adapter et le diapason à baisser (cf. cases grise du précédent tableau). Ne pourrait-on pas attendre que l'alto et la basse tombent plutôt d'accord sur le qui est déjà présent dans l'accord initial? (cf. CD, plage 10)

Pour des morceaux simples harmoniquement, on prendra donc soin de se mettre d'accord sur des notes de base qui resteront un repère de justesse. Il paraît logique d'attribuer ce rôle aux degrés les plus fondamentaux de la gamme: dans un langage tonal on choisira la tonique et la dominante. Deux notes suffisent à stabiliser efficacement le diapason, les autres notes découlent des enchaînements harmoniques.
Il faudra ainsi veiller à comprendre le rôle de chaque note, et on remarquera, que se sont les tierces (ou les sixtes selon le renversement de l'accord) qui ont besoin d'être ajustées, par rapport au tempérament égal auquel nous sommes habitués.

Mais ce tempérament égal n'est surtout pas à dénigrer, car il est indispensable de garder une base tempérée, dès lors que l'on joue une pièce dont les modulations s'éloignent beaucoup de la tonalité principale. C'est parce que l'harmonie s'est complexifié au cours des siècles que ce tempérament s'est imposé dans la musique occidentale.
Lorsque l'on écoute un orchestre professionnel, on peut remarquer que leur accord est tempéré, mais que les instrumentistes n'hésitent pas à employer des tierces et sixtes naturelles dans tous les accords simples (c'est-à-dire ayant une base d'accord parfait) et d'une certaine durée, en particulier les accords finaux. Ceci est vérifiable non seulement pour la musique baroque, mais aussi pour toutes les musiques tonales, jusqu'au vingtième siècle.
On pourra écouter, sur les plages 11 à 14 du CD annexe, deux extraits du Requiem de Mozart, dans deux interprétations différentes: il s'agit de deux cadences parfaites. Sur la première, on remarquera que la tierce, c'est-à-dire le mi de la clarinette, de l'accord de tonique est trop haut et crée des frottements. Sur la deuxième version du même passage, dirigée par Jos van Veldhoven, on ne perçoit pas ces battements, car le clarinettiste à pris soin de baisser sa tierce pour qu'elle soit pure. On peut constater le même phénomène sur l'extrait suivant: lors de l'accord de dominante la sensible est trop haute, puis juste.

A partir de l'apparition de gammes à transposition limitée, comme les gammes par tons, beaucoup utilisées par Debussy, le tempérament égal devient le plus approprié. Il est évident que si l'on essaye de superposer trois tierces majeures naturelles pour jouer un accord de quinte augmentée, on risque alors d'avoir une mauvaise surprise à l'arrivée sur la note qui est censée sonner comme l'octave de la première. Elle sera effectivement beaucoup trop basse.
Il est absolument nécessaire de jouer des demi-tons égaux lorsque l'on exécute une pièce dodécaphonique, pour laquelle le compositeur a souhaité sortir de la hiérarchie des notes du langage tonal.
L'atonalité annonce une nouvelle notion de la justesse, qui demande une grande précision dans un tempérament égal. On rencontre souvent des particularités dans la musique occidentale du XXème siècle, comme l'apparition des tiers de tons ou des quarts de tons, chez Maurice Ohana par exemple.
La musique spectrale est une autre particularité très intéressante pour notre sujet, puisqu'elle est principalement élaborée à partir des propriétés acoustiques du son, notamment à partir du spectre harmonique. Ce courant musical est apparu dans les années 1970, et l'on peut prendre pour exemple "Partiels", la partition de Gérard Grisey, fondateur de l'école spectrale. Dans cette œuvre, le tempérament égal n'est absolument pas le bienvenu. Ce genre de musique est pédagogiquement très intéressant pour la justesse harmonique.



Spécificités des instruments

Après avoir étudié de manière théorique, comment jouer juste, nous allons à présent examiner les problèmes techniques rencontrés dans la pratique instrumentale.
Nous avons vu que les chanteurs possèdent la plus grande liberté d'intonation, mais ils ne sont heureusement pas les seuls à pouvoir varier la hauteur des notes. Dans un orchestre, la quasi-totalité des instruments peuvent, une fois qu'ils se sont soigneusement accordés, baisser ou monter leurs notes selon la nécessité.

Les instruments à cordes frottées, du violon jusqu'à la contrebasse, sont très avantagés dans ce domaine, car ils ont autant de possibilité que les chanteurs, hormis le fait qu'ils soient impuissants avec les cordes à vide. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle on préfère souvent les éviter, en jouant les notes, dans la mesure du possible, sur d'autres cordes.
Il faut ajouter que la difficulté n'est pas la même, selon la taille de l'instrument. En effet, si un demi-ton est éloigné, en moyenne, de deux ou trois centimètres sur la touche d'une contrebasse, le violoniste dispose souvent d'une précision de quelques millimètres seulement, ce qui lui rend la tâche beaucoup plus difficile. Les plus gros instruments ont cependant des difficultés de précision dues aux grands déplacements sur le manche.

Les instruments à vents présentent d'autres difficultés. Il est généralement possible de modifier plus ou moins sensiblement la hauteur d'une note, mais dans une certaine limite. Pour les bois, on peut très souvent changer un doigté pour que la note sonne différemment, on peut boucher ou déboucher légèrement un trou, à condition que l'instrument et que la note le permettent: un saxophone, n'ayant que des plateaux, ne donne pas cette possibilité, une flûte traversière ne pourra pas monter un sol médium de cette manière, car le dernier trou est bouché par un plateau. Les systèmes sont très différents les uns des autres et demandent une grande connaissance et une grande pratique pour en connaître toutes les possibilités.
Les cuivres opèrent différemment: les trompettistes peuvent ajuster leur notes à l'aide d'une coulisse mobile, qu'ils glissent à l'aide du petit doigt. Le corniste utilise la main avec laquelle il tient le pavillon, en bouchant plus ou moins la sortie d'air. Le tromboniste a la chance d'avoir une coulisse, mais rencontre le même problème que celui des cordes à vide, lorsque sa coulisse se trouve à son maximum. Quant aux tubas, ils sont maintenant très souvent équipés d'un trigger, qui joue le même rôle que la coulisse mobile de la trompette.
Il faut noter que les cuivres connaissent très bien la suite du spectre harmonique, puisque tout leur système s'appuie dessus.
Parallèlement à toutes ces solutions digitales, les vents ont la possibilité de corriger la justesse en modifiant l'embouchure ou la pression de l'air. Là aussi, les systèmes diffèrent selon l'instrument. Par exemple, dans une nuance forte, sur une clarinette, le son baisse, contrairement à la flûte qui a tendance à monter. Le hautboïste rencontre de grandes difficultés de justesse lorsqu'il joue piano. En ce qui concerne l'embouchure, de manière générale plus la pression des lèvres est importante, plus le son monte vers l'aigu. Pour la flûte, on parle plutôt de découvrir l'embouchure. Mais les instrumentistes évitent d'utiliser cette technique, car la sonorité en souffre.

Violonistes, altistes, violoncellistes, contrebassistes, vents et cuivres, tous peuvent donc, sur une base d'accord tempéré, jouer en respectant les intervalles naturels, lorsque cela s'avère nécessaire. C'est ce qui fait la sonorité d'un orchestre.

Les plus impuissants face à la justesse sont les pianistes, organistes, accordéonistes, et tous les autres instrumentistes qui ne peuvent pas modifier la hauteur des notes, une fois leur instrument accordé. Ces musiciens, comme nous le verrons dans la partie suivante, doivent cependant avoir conscience du phénomène des tierces et des sixtes pures, car ils sont souvent amenés à jouer avec des instruments à cordes, à vent, ou avec des chanteurs.
La conscience du phénomène est également importante pour certaines pièces de musique contemporaine. Le compositeur François Rossé utilise par exemple une technique assez spéciale qui consiste à faire résonner l'harmonique de tierce de certaines cordes en les bloquant à des endroits choisis avec de la pâte adhésive; il fait ensuite jouer une mélodie simultanément avec les notes harmoniques et avec les notes réelles tempérées, ce qui crée une dissonance, et ainsi une sonorité particulière. Le pianiste exécutant ce genre d'œuvres devra comprendre la technique, d'abord afin de préparer son instrument, et ensuite pour faire sonner correctement cette dissonance, en dosant de façon judicieuse la nuance des sons harmoniques et des sons réels.

La harpe appartient à cette catégorie d'instruments à tempérament égal, mais une nouvelle difficulté intervient: une harpe se désaccorde tellement facilement qu'elle nécessite d'être accordé extrêmement souvent. Les harpistes le font eux-mêmes et ils ont pour cela souvent recours à un accordeur électronique. Cet appareil leur permet de gagner du temps, et d'obtenir une grande précision dans la recherche des demi-tons égaux.
Cependant un phénomène psycho-acoustique entre en jeu: la distorsion de la sensation d'intervalle dans les tessitures extrêmes. Il s'agit d'une impression d'élargissement des intervalles dans le grave et de resserrement dans l'aigu. C'est-à-dire que la sensation d'intervalle créée par deux sons de 1000 et 2000 Hz ne va pas ressembler à une octave, mais plutôt à une septième majeure. Et deux fréquences de 80 et 160 Hz vont donner une impression de neuvième, alors que pour des sons situés dans le médium, le rapport fréquentiel d'une octave est bien de 2. Ce phénomène est bien connu des accordeurs de pianos, et ne simplifie pas la tâche des harpistes, qui sont contraints de réajuster le travail de l'accordeur électronique.
Ce n'est pas là le seul problème rencontré par ces instrumentistes, car il faudrait aussi parler des imperfections dues à la facture de l'instrument. En effet, on remarquera que les enharmonies sont rarement justes, c'est-à-dire qu'en appuyant sur la pédale du do#, et en relâchant la pédale du réb, on obtiendra difficilement exactement la même hauteur.

La guitare est aussi un instrument très délicat du fait de la grande sensibilité des cordes aux tensions involontaires de la main gauche (ou de la main droite pour les gauchers). La hauteur des notes étant fixée au moyen de frettes, contrairement au violon, le guitariste ne peut pas faire varier l'intonation comme il le souhaite. Cet instrument est donc prévu pour être accordé en tempérament égal, et l'instrumentiste ne peut changer le son que vers l'aigu, en tirant sur la corde. Il lui est malheureusement impossible de baisser une tierce majeure pour la rendre pure.
Un autre problème se pose pour le guitariste lorsqu'il s'accorde, il s'agit d'une difficulté que rencontrent aussi les cordes frottées, dès lors qu'ils s'accordent avec des cordes à vide: nous avons vu en première partie comment fonctionne la spirale des quintes, ces instrumentistes y sont également confrontés, mais à une échelle moins importante puisqu'ils ne possèdent pas douze cordes mais seulement quatre, et six pour la guitare. Pour s'accorder correctement dans un tempérament tempéré, le violoniste devrait en fait vérifier que ses quintes à vide sont un rien plus petites que des quintes pures. Le guitariste, lui, devrait s'arranger pour avoir des quartes un peu grandes, tellement peu que c'est imperceptible.
On pourra voir en annexe E six tableaux représentant chacun le manche de la guitare, et décrivant trois manières courantes d'accorder une guitare. Ceci permet de comparer les inconvénients et avantage de chacun des systèmes. Il faudra prendre en compte, afin de juger la solution idéale, le fait que l'ajustement de cordes à vide soit beaucoup plus précis.

Les musiciens baroques ont beaucoup à nous apprendre sur le sujet de la justesse. Il faut savoir que les instruments à cordes du dix-septième siècle (luth, théorbes, violes…) étaient dotés de boyaux amovibles le long du manche, qui furent remplacés plus tard par les frettes immobiles comme celles de la guitare. Ceci leur permettait de s'accorder dans différents tempéraments, selon la tonalité du morceau qu'ils exécutaient, afin de jouer des intervalles purs. Les clavecinistes et organistes procédaient de la même manière, mais avec beaucoup plus de liberté, car le positionnement des boyaux demandait un grand travail de calcul.





Stratégie pédagogique :


Propositions pédagogiques

Il me paraît important d'imprégner les élèves aux tempéraments inégaux et à la justesse harmonique dès le plus jeune âge, en passant par l'écoute d'enregistrements choisis surtout dans le répertoire baroque, ou dans la musique vocale en général. Le plus important réside dans le choix des versions. (cf. CD, plage 15)
Il me semble que trop d'élèves, et même trop d'étudiants en musique ont les oreilles aseptisées au tempérament égal. Certains étudiants, à qui l'on n'a jamais rien expliqué sur l'acoustique, ne supportent pas d'entendre un son entre le mi et le fa. Comme si la justesse ne se limitait qu'à reproduire parfaitement l'un des douze sons bien tempérés qu'ils ont appris!
Afin d'éviter cela, les jeunes musiciens doivent être initiés à la justesse relative dès le plus jeune âge.

Mais face aux difficultés de leur instrument, les apprentis ne disposent pas toujours des moyens techniques pour remédier aux problèmes de justesse. C'est pour cela que le chant est très important pour la découverte de la consonance.
De plus, le musicien, en chantant, pourra ressentir corporellement les vibrations de sa voix, ce qui l'aidera à sentir la justesse physiquement. Essayez de faire chanter une quinte juste à deux personnes, la consonance se fera naturellement, alors qu'il est plus difficile de chanter une quarte augmentée.
On sera souvent confronté, au préalable, à des problèmes d'intonation de la part de certains élèves, souvent liés à une mauvaise écoute de soi-même, ou à une mauvaise maîtrise de la voix. On rencontre souvent, en effet, des élèves qui n'arrivent pas facilement à reproduire une note vocalement, chantant toujours avec un décalage de plus d'un ton. Il est évident que ces personnes doivent d'abord apprendre à "chanter juste" à cette échelle, pour ensuite affiner leur justesse. Mais ceci n'est pas l'objet de ce mémoire, qui traite de la précision d'intonation.

Parallèlement, pour les élèves de premier cycle, on veillera à leur faire participer le plus rapidement possible à l'accord de leur instrument. Même si les plus jeunes peuvent rencontrer des difficultés techniques, comme de tourner les chevilles de leur violon, il est important de les initier très tôt à cette préparation de l'instrument, d'autant qu'il existe des tendeurs très précis et très maniables.
Pour les instruments monodiques, on peut tout à fait provoquer la nécessité qu'ils s'accordent: plutôt que de s'ajuster constamment sur eux sans leur expliquer quoique ce soit, on peut tout à fait leur demander leur avis afin de stimuler au plus tôt leur attention à la justesse.

En premier lieu, il faudra apprendre à l'élève la notion de consonance et dissonance. On pourra commencer par les intervalles les plus consonants, c'est-à-dire l'unisson, l'octave et la quinte. On veillera à lui faire ressentir physiquement les battements créés par les sons très proches de la consonance; ces battements sont plus évidents à percevoir pour les sons les plus graves, cela pour des raisons acoustiques. Quand le jeune musicien aura réussi à percevoir ces battements, il nous sera facile de lui montrer que leur vitesse est proportionnelle à la différence de fréquence, donc de hauteur.
Selon son âge, il peut être intéressant pour lui de savoir quelle est la nature du son , mais les connaissances d'acoustique ne sont pas indispensables à la maîtrise de la justesse.
Il est important, par contre, que les élèves sachent retrouver la suite du spectre harmonique sur leur instrument, quand c'est possible. Très peu d'instruments ne permettent pas de mettre les harmoniques en valeur (l'orgue et l'accordéon); dans ces cas là, il faudra leur montrer le phénomène avec un autre instrument. Ce travail peut avoir lieu au cours de formation musicale (FM).

Afin de faire prendre conscience aux élèves de la différence entre la tierce majeure naturelle et la tierce majeure tempérée, une expérience consiste à leur demander de chanter un mi pendant que l'on joue sur un piano un do et un sol. Lorsque l'on fait entendre ensuite le mi du piano, les élèves pourront remarquer que celui-ci est plus haut que leur note. En essayant sur d'autres accords parfaits majeurs on leur montrera qu'il ne s'agit ni d'une défaillance de leur justesse, ni d'un problème de réglage de l'instrument.
Il est aussi intéressant de renouveler l'expérience non plus avec leurs voix mais avec leurs instruments. Le phénomène est encore plus flagrant quand le son peut être tenu et dans une tessiture plutôt grave, par exemple avec un violoncelle ou un cor. En effet, les fréquences basses permettent de mieux ressentir les phénomènes vibratoires.

En ce qui concerne les instruments qui ne peuvent pas moduler la hauteur des notes, tels que le piano ou la harpe, je pense qu'il ne faut pas pour autant les dispenser de cet apprentissage de la justesse harmonique, car ils seront amenés, tôt ou tard, à accompagner des vents, des cordes ou des chanteurs. Il faudra alors qu'ils soient vigilants sur la justesse de leur soliste, tout en sachant à quel moment celui-ci aura raison par rapport à l'instrument tempéré. Dans ce cas là, le pianiste ou le harpiste devra savoir doser judicieusement la nuance de certaines notes, notamment des tierces et des sixtes.



La classe de FM lieu idéal pour travailler la justesse

Plusieurs raisons nous amènent à penser que le cours de formation musicale est un moment tout à fait approprié à la compréhension et au travail de la justesse.
Tout d'abord, nous avons vu que ce travail nécessite un minimum de connaissance harmonique, ne serait-ce que pour savoir où se trouve la tierce dans un accord parfait, mais encore pour être capable de reconnaître de la musique tonale, modale ou atonale, et enfin pour savoir dégager d'une musique les degrés importants, dont il faudra stabiliser la hauteur, afin de jouer avec une justesse cohérente.

D'autre part, nous avons mis l'accent sur l'importance du chant dans la sensation de justesse. Or, la majorité des élèves ne pratiquent le chant qu'au cours de formation musicale. C'est souvent le premier lieu où les musiciens ont l'occasion de chanter en polyphonie.
Il en est de même pour l'instrument: si les jeunes musiciens ont souvent l'occasion de pratiquer la musique d'ensemble, au sein d'orchestres ou de groupes de musique de chambre, ils ont rarement le temps d'y faire des expériences précises pour la justesse. C'est encore le professeur de formation musicale qui peut leur apporter les outils théoriques pour comprendre la justesse, tout en leur permettant de les mettre immédiatement en pratique.
De plus, les élève, dans cette classe, ont l'occasion de rencontrer d'autres instrumentistes. Le jeune corniste pourra faire constater à ses camarades qu'il peut parcourir facilement les notes du spectre harmonique, le pianiste pourra montrer la différence entre le cinquième partiel de la corde du do 1, c'est-à-dire un mi 3 naturel, et le mi 3 tempéré. Les élèves auront aussi le loisir de tester la justesse entre deux timbres très différents.



Mises en garde

A la fin d'une telle étude sur la complexité de la justesse, nous constatons combien il est important de donner un maximum d'explications à nos élèves, afin qu'ils comprennent pourquoi il est si difficile de jouer juste. Si l'on dit à un jeune soliste d'un orchestre, plein de bonne volonté, que son , dans un accord de sib majeur, est trop haut, alors que juste avant on lui reprochait de jouer trop bas ce même , dans un accord de sol, il risque d'être déstabilisé. S'il ne détient pas toutes les clés pour comprendre l'origine de ses défauts d'intonation, il risque d'imaginer qu'il a une déficience auditive, ou qu'il n'est pas suffisamment sensible aux dissonances.

Je pense aussi qu'il faut faire très attention à ne pas provoquer de blocage chez l'élève, par une mauvaise interprétation de ses réactions. La justesse théorique doit être correctement acquise, d'une part, mais il faut aussi surveiller l'attitude corporelle de l'élève, qui peut parfois influencer sa propre écoute. En effet, pour maîtriser les sensations de consonance et dissonance, il est nécessaire d'être très détendu. Il ne sert à rien de leur répéter sans cesse qu'ils jouent faux, s'ils ne sont pas dans les conditions physiques pour l'entendre.
En rencontre parfois des musiciens très tendus au niveau des trapèzes, du cou ou des muscles du visage. Ceci peut avoir des conséquences sur l'audition, et on trouve alors des personnes qui comprennent et entendent parfaitement la justesse lorsqu'ils sont auditeurs, et qui n'entendent plus rien dès qu'ils se trouvent sur leur instrument. Il faudra alors avoir la présence d'esprit de commencer par corriger la posture plutôt que de les traumatiser avec la justesse.

Pour finir, je tiens à ajouter que la justesse ne doit pas être surveillée au détriment de la musicalité, et ne doit pas être considérée comme une priorité, qui peut devenir rapidement très obnubilante pour nos élèves.
Je pense que nous avons beaucoup à apprendre de certains musiciens de musiques folkloriques ou traditionnelles qui jouent spontanément pendant des heures en ayant accordé approximativement leurs instruments. Ces musiciens n'iraient pas critiquer un concert de musique savante, juste parce que trois notes n'étaient pas tout à fait justes, mais ils seraient sûrement étonnés de constater que les interprètes passent parfois autant de temps à s'accorder qu'à jouer.
La musique doit être avant tout un plaisir, ne l'oublions pas, et c'est la première chose que nous devons transmettre à nos élèves.





Conclusion :


Après une longue étude du phénomène acoustique des frottements, dissonance et consonance, nous avons tâché de trouver des solutions au complexe problème qu'est la justesse. Nous avons pu constater que jouer juste n'est pas chose évidente; entre les décalages de la spirale des quintes, la différence entre le tempérament égal et les intervalles naturels, les distorsions psycho-acoustiques, les limites de nos instruments, et toutes les difficultés de précision que l'on rencontre, il y a de quoi perdre pied!

La justesse ne doit pas constituer un barrage dans l'apprentissage musical de nos élèves. Et c'est à nous, professeurs, qu'il revient de leur apporter un maximum de clés afin qu'ils trouvent un équilibre entre une certaine exigence de la justesse et une interprétation musicale construite.

Il ne faut pas hésiter à relativiser la justesse telle que nous la pratiquons dans notre culture occidentale. N'oublions pas que dans les autres cultures, le langage musical impose une nouvelle considération des intervalles. Les différents systèmes que l'on peut rencontrer dans le monde mériteraient d'être étudiés, en vue d'enrichir les connaissances que ces quelques pages ont pu nous apporter.

Ne nous laissons pas prendre dans la dictature de la justesse!





Annexes


A. Exemples sonores:





B. Fréquences d'un clavier tempéré, à 440 Hz:



C. Accord de ré majeur en tempérament égal:



D. Accord de ré majeur avec intervalles purs:



E. Trois manières d'accorder une guitare: